« Le patrimoine en danger permanent de stérilisation : le cas de Saint Macaire »

Par Jean Marie BILLA, architecte et enseignant

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« La majeure partie de ce qui s’est bâti au cours des dernières années coupe court, à de rares exceptions prés, à tout plaisir ou désir d’y déceler ou d’y projeter une signification autre que celle de l’utilité… Par delà son utilité, une architecture, quelle qu’elle soit, ne devrait-elle pas tirer une légitimité nouvelle d’un certain pouvoir sur l’imaginaire des habitants ? Non plus de ce pouvoir d’intimidation et d’imposition (des « experts »), de ce pouvoir de persuasion comme dans les temples de la consommation (culturelle)…mais au contraire d’un pouvoir d’incitation à l’auto-expression »

(Jean Pierre GARNIER*)

Cet extrait résume la problématique du parcours conduit depuis un demi-siècle à               Saint Macaire, commune de 2 000 habitants proche de Bordeaux, autour de la requalification du bourg médiéval, jusque-là désigné comme insalubre et par conséquent voué à l’évacuation progressive de ses habitants.

1er acte La mise sous tutelle des habitants  

Dans la période ou s’élaborait la Charte de Venise, des esprits « éclairés » bordelais alertèrent les services de l’Etat sur l’intérêt archéologique de ce patrimoine en déshérence : dans l’urgence, le Ministère des Affaires Culturelles protégeait juridiquement le site en 1965 et instaurait la police du contrôle architectural pour mettre les Macariens hors d’état de nuire à leur héritage bâti.

Simultanément, le Ministre délégué à l’Aménagement du territoire et à l’Action Régionale, venait sur place proposer au Conseil Municipal une enveloppe de 600 000 € pour engager la résorption de la déprise résidentielle. Malgré l’adhésion d’une « avant-garde » des élites locales autour de l’argument touristique, les réactions négatives ne tardèrent pas à s’enchainer:

            – perplexité des propriétaires riverains de la place du marché  face à une proposition de subvention à hauteur de 80% du coût de restauration des façades (40% de réussite seulement)

            – automutilation de trois maisons anciennes par leur propriétaire afin d’accélérer leur délabrement et ainsi obtenir l’autorisation de construire à leur place un pavillon neuf.

* Jean Pierre GARNIER in « Architecture et Anarchie : un couple mal assorti », chronique du 17/12/2009 / blog.agone /

– inertie des élus qui, n’accordant aucun crédit à un avenir résidentiel pour la vieille ville, ne mirent pas à profit l’enveloppe DATAR

– éventration en une nuit d’une façade Renaissance pour dégager une entrée de garage poids lourd, avec la mobilisation d’un commando de quinze habitants, ceci en 1971.

L’équipe engagée depuis 1967 dans la redécouverte du prieuré bénédictin remporta la même année, en 1971, le premier prix national des chantiers bénévoles de jeunes. Prenant la mesure de l’écart entre les deux évènements, elle décide définitivement de privilégier le convaincre sur le contraindre pour réussir le sauvetage du vieux Saint Macaire. Deux points émergent alors à ses yeux :

            – les chemins menant à l’appropriation du patrimoine relèvent d’une pluralité dépassant le champ clos des experts : les artisans locaux du bâtiment obtinrent ainsi la légitimation de leur intervention, en pleine parité avec les entreprises extérieures spécialisées dans les monuments historiques.

            – la domination de l’approche archéologique et touristique peut stériliser l’appropriation par les habitants puisqu’elle marginalise la cristallisation d’un imaginaire local sur le patrimoine : le recours à la mémoire de la tonnellerie, dernière activité propre à St Macaire, permit de renouer avec la fierté de la vieille ville.

2ème acte Le risque de pensée unique  

Avec l’intégration du patrimoine par la mouvance progressiste à la fin des  « Trente Glorieuses », s’amorça la reconquête résidentielle. L’association macarienne substitua en 1974 à son patronyme initial de « Histoire et Tourisme » celui de « Sauvegarde et Rénovation ».

Le laboratoire du Prieuré arrêtait alors sa doctrine sur la réutilisation contemporaine d’un monument historique et mettait au point un futur slogan : « Habiter aujourd’hui des maisons d’hier ».

Les conflits ne manquent pas de surgir :
– scission entre ceux pour qui la qualité patrimoniale de la cité exigeait l’injection volontariste de nouveaux habitants « éclairés » et ceux pour qui leur capacité à « tutoyer » le lieu rendait incontournables les autochtones dans le succès de la démarche entreprise.
– débat contradictoire avec la paroisse puis les élus sur l’avenir du Prieuré : une vocation laïque est-elle tolérable aux abords immédiats de l’église ? L’inclusion de toilettes dans l’édifice ne constitue-t-elle pas une hérésie patrimoniale ?
– fracture au sein de l’équipe du Prieuré entre étudiants et manuels, et répartition des trois principaux animateurs sur des positions politiques divergentes lors des élections municipales de 1977.

Le retournement de situation intervient en 1983, avec l’entrée à la mairie des idées conçues au Prieuré. La reconquête résidentielle s’officialise alors avec l’installation d’un réseau d’assainissement public dans la vieille ville ou encore la reconversion d’immeubles vacants en logements sociaux. S’accrurent alors les clivages entre les anciens et les nouveaux habitants :
– divergences sur l’utilisation de l’église, avec pour les nouveaux une tendance à sa désacralisation lors de la Fête de la Musique par exemple, avec pour les anciens, catholiques ou non, un respect de la vocation religieuse ne souffrant pas d’exception.
– opposition sur l’utilisation des espaces publics, avec pour les nouveaux une priorité  accordée aux piétons et à une installation sur les rives d’artisans d’art, avec pour les anciens une limitation de l’exclusion de la voiture aux évènements festifs ponctuels.

Pendant ce temps, l’appropriation poursuivait son chemin hors champ pédagogique et dans les années 90, l’équipe de football inaugurait une fresque de la place du marché  dans son foyer, le Motoclub choisissait pour emblème la principale porte fortifiée de la cité et les sapeurs pompiers choisissaient pour toiles de fond de leur calendrier les composants les plus représentatifs du patrimoine macarien.

3ème acte Le combat pour le retour des équipements  

Vint alors le temps du retour ou du maintien des équipements publics dans la vieille ville.     En 1993, le couvent des Ursulines retrouva une nouvelle jeunesse avec la complète réhabilitation de la maison de retraite publique qu’elle accueillait. Une maison d’accueil pour enfants autistes finit par se construire en 2006 sur une ancienne friche du site inscrit.         Mais, dans ce domaine, les obstacles s’accumulent :
– les réglementations en vigueur demeurent ajustées sur la construction neuve : ainsi l’aménagement d’un hôtel privé dans le tissu médiéval a-t-il été pénalisé par l’interdiction de porter des planchers béton sur des murs de pierre et donc par l’obligation de construire un nouveau système de points porteurs.
– les services institutionnels (Etat, Département, Caisse d’Allocation Familiales, etc…) limitent leurs exigences à la dimension fonctionnelle des équipements ; ainsi la maison intercommunale de la petite enfance a-t-elle été enclavée entre une coopérative viticole et une cuisine collective plutôt qu’incluse dans le vieux St Macaire, afin de garantir son accessibilité par les véhicules.

– les couches sociales dotées d’un capital culturel ont tendance à mettre en sourdine leur aspiration à ériger en lieux de célébration les équipements du quotidien, lorsque ces derniers sont en capacité de mettre en danger la primauté du « vivoir familial » : le débat ouvert sur le possible retour de l’école dans un hôtel particulier du XVIème siècle soulève d’étranges perplexités : « limiter un monument historique à une vocation scolaire ne revient-il pas à le gaspiller ? »

Dans ce contexte, la spéculation immobilière a fini par toucher le patrimoine macarien à partir de 1997, les nouveaux habitants accentuent leur volonté d’imposer leurs aspirations dans l’utilisation des espaces publics, la mise sous tutelle des habitants pourrait être réactivée par la mise en vigueur d’une Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager.

Face à toutes ces menaces de stérilisation, le principal antidote demeure la stimulation permanente d’un imaginaire collectif appliqué au patrimoine local fécondé par les compromis résultant des confrontations entre anciens et nouveaux habitants, entre détenteurs de savoir et dépositaire de savoir-faire, entre inclus et exclus, etc… Les nouvelles significations peuvent sauver le patrimoine de l’enlisement muséographique ou mercantile et le sortir de la duplication pour le mettre en situation de générer la modernité.

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